Tribune publiée ce jour dans le Journal du Pays Basque
Ce lundi matin sur les ondes de France Bleu Pays Basque, monsieur Aillet, évêque catholique de Bayonne, nous a fait part de son effroi face à l’annonce par le gouvernement de l’extension du droit au mariage civil aux couples de même sexe. Une telle perspective finit même par le faire sombrer dans la plus totale confusion et la plus grande agitation. Nous l’invitons à retrouver le chemin de la raison.
M. Aillet affirme en effet que ce serait là l’œuvre d’un obscur lobby, minoritaire parmi la minorité… Diable ! Quel redoutable pouvoir de persuasion ! M. Aillet n’a sans doute pas retenu que c’est l’engagement 31 du président de la République, engagement repris par une majorité de députés et de sénateurs, démocratiquement élus voici peu par le peuple français.
Confusion encore…
M. Aillet craint que l’ouverture du droit au mariage n’ouvre la porte à la demande de légalisation de la polygamie. Fumeux amalgame !
L’être humain n’étant pas responsable de son orientation sexuelle, l’homosexualité n’est donc pas une maladie, ni une perversion, ni un choix ou un penchant qui peut être évité ou guéri. Rappelons d’ailleurs à M. Aillet que c’est sur une proposition du socialiste Robert Badinter, ministre de la Justice, que l’Assemblée nationale française a voté en 1982 la dépénalisation de l’homosexualité, conduisant à un début de protection juridique des homosexuels.
Quant à la polygamie, il ne s’agit en rien d’une orientation sexuelle, mais de pratiques que le Code civil interdit et que l’Etat combat.
Mettre dans le même sac homosexualité et polygamie dénote bien une extrême confusion dans l’esprit de M. Aillet.
Sans doute l’accès des couples homos à une égalité de droits avec les couples hétéros perturbe-t-il profondément la vision de la famille qu’a M. Aillet. Et il est vrai aussi, à sa décharge, que l’institution qu’il représente a toujours eu beaucoup de mal à comprendre la moindre évolution, qu’elle soit sociétale, scientifique, voire autre. N’a-t-il pas ainsi fallu attendre la fin du XXe siècle pour que l’Eglise fasse repentance à propos de Galilée ?
Soyons cependant follement optimistes et reconnaissons que cela ouvre tout de même un espoir, certes ténu, pour les familles LGBT… des siècles à venir.
Toujours dans le domaine de l’effroi, retenons enfin l’annonce apocalyptique du citoyen Aillet sur la fin du tabou de l’inceste et remarquons au passage qu’il a oublié, dans sa très vive émotion sans doute, d’évoquer la pédophilie.
Notre modeste demande d’égalité semble au final provoquer chez lui un véritable séisme menaçant les fondements de l’ordre social… du moins dans son esprit. Et dans son effarement, M. Aillet finit même par envisager sur le site de l’évêché de “descendre dans la rue pour se faire entendre, défendre l’institution du mariage et le droit fondamental de chaque enfant d’être éduqué par un père et une mère”. Pas moins ! Les familles monoparentales apprécieront aussi.
Grande et totale agitation qui lui fait d’ailleurs oublier au passage le respect de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, loi votée à l’initiative du député socialiste Aristide Briand.
Que monsieur Aillet retrouve ses esprits !
Nous lui conseillons d’abord, avant d’entamer toute épuisante et stérile mobilisation, de prendre le temps de tirer le bilan des formidables manifestations de la très puissante Eglise catholique espagnole, mais qui n’a, en définitif, jamais pu empêcher le Parlement démocratiquement élu de légiférer et d’ouvrir le mariage aux couples de même sexe. Le temps où l’Eglise imposait son autorité à la société toute entière est révolu.
Mais peut-être, au fond, la véritable crainte, non avouée, de M. Aillet est-elle que les prêtres en viennent à réclamer eux aussi le droit au mariage ? Cela expliquerait le caractère précipité, brutal et peu maîtrisé de ses propos qui ont choqué plus d’un citoyen.
Tentons donc de le ramener au calme et à la raison ; du moins sur les points qui nous concernent.
Non, l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe ne déstabilise rien car elle n’enlève rien à quiconque : rien ne sera changé pour les couples et les familles existantes. La loi rajoutera simplement de l’égalité en étendant des droits. Elle permettra de sécuriser nos couples, mais aussi les enfants de nos familles homoparentales ; car c’est une réalité, indéniable, ici même, au Pays Basque : des enfants naissent, sont aimés et élevés par des parents de même sexe. Et ces enfants grandissent dans des conditions tout aussi respectables que dans toutes les autres familles. Ne méritent-ils pas de bénéficier des mêmes protections que tous les autres enfants ?
Non, l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe n’entraîne aucune rupture de civilisation. Dans les sept pays européens qui l’autorisent, la société ne s’en porte pas plus mal et toutes les prédictions de chaos ont fait long feu. Notons au passage que certaines Eglises chrétiennes l’ont parfaitement compris, que ce soit l’Eglise suédoise luthérienne ou encore l’Eglise protestante des Pays-Bas qui reconnaissent désormais tous les couples.
Que M. Aillet se calme enfin : le grand débat qu’il réclame à corps et à cris aura bien lieu.
D’ailleurs, qui voudrait ou pourrait l’empêcher ? Mais ce débat se fera dans l’ordre, dans le cadre démocratique de la République. Fin octobre, la ministre de la Justice présentera le projet de loi ; le texte passera alors entre les mains de la commission des lois de l’Assemblée qui auditionnera tous ceux qui ont leur mot à dire. L’Eglise catholique tout comme nos associations LGBT pourront faire valoir leurs arguments. Mais au final, c’est aux députés et sénateurs que reviendra, après débat, la décision de trancher ; c’est ainsi que naissent les lois dans notre République démocratique et laïque.
Souhaitons que ces perspectives apportent un peu de sérénité dans l’esprit totalement survolté de monsieur Aillet qui annonce aujourd’hui partir en croisade contre l’ouverture du mariage pour tous. Le Moyen Age est terminé depuis longtemps et les bûchers sont éteints.
Quant à nous, association des lesbiennes, gays, bis et trans du Pays Basque, restons d’incorrigibles optimistes, convaincus que balayant tous les conservatismes, l’égalité des droits est en marche et que personne ne pourra l’arrêter.
Beñat GACHEN / Président des Bascos - L’association LGBT du Pays Basque